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Michel Rolland
le Nez, le Goût, le Climat

Œnologue vient du grec oinos : vin, et logos : science

Michel Rolland photo © Rolland collection
Depuis 1960, Michel Rolland collabore en tant qu'œnologue-conseil avec 70 propriétés réputées dans le monde. Ses activités dans son laboratoire et comme consultant en œnologie le rendent mondialement célèbre.
Trois de ses vignobles ont été vendus fin mai 2013 au groupe hongkongais Goldin Financial Holdings.
Michel et Dany Rolland possèdent le château Fontenil : 10 hectares en appellation Fronsac acquis en 1986, et le fermage du château La Grande Clotte : 7 hectares en Lussac et Bordeaux blanc. Ils ont un château en Espagne, un en Afrique du Sud et trois domaines en Argentine.
« C’est mon grand-père Joseph qui m’a appris la météo, l’amour de la nature, le contact de la terre, me dit Michel Rolland. Et puis il y a eu Émile Peynaud (1912 - 2004) surnommé ‘’le père de l'œnologie moderne’’. Il était mon professeur lorsque j’étais étudiant à la faculté d’œnologie de Bordeaux pour avoir mon D.N.O. Ce Diplôme National d’Œnologue existe depuis 1956. La première chose qu’a fait Peynaud c’est de découvrir la malolactique ; elle n’était pas considérée comme une maladie mais on ne savait pas ce que c’était. Lui, il a expliqué le phénomène et ça a été l’objet de sa thèse en 1947. Et puis, il a insisté sur le terroir, car il s’est aperçu que, dans des châteaux comme Lafite Rothschild ou Cheval Blanc, même si le travail était mal fait, leur vin était de toute façon meilleur qu’ailleurs ; Peynaud a donc apprit aux vignerons à considérer et à travailler leur vigne en fonction du terroir.»
Suivant sa méthode nommée ‘’sélection au terroir’’, le foulage et la fermentation s’opérèrent en lots séparés, suivant l'âge de la vigne, la maturité des cépages, l'emplacement du vignoble, etc…
« A la fac, reprend Michel Rolland, il tenait un discours sur le vin, sans emphase, sans fioritures, sans mots savants. Ses propos étaient accessibles, émaillés de mots simples et il excellait à exprimer les sensations fortes et le plaisir avec simplicité
Si Michel Rolland sait comment améliorer les chais de ses clients, il est surtout le roi de l’assemblage. « L'objectif n'est pas de produire des 1ers Crus partout dans le monde, ni des vins identiques ; l’objectif est de permettre au vin d'avoir la meilleur expression de son terroir. »
- Le climat est un des facteurs déterminant à un bon terroir. Il y a bien une ‘’petite Gironde’’ quelque part en Chine ?
- Peut-être. Il faudrait survoler cet immense territoire et la trouver. Les millionnaires chinois ont déjà ce qui leur faut. Mais pourquoi pas ? Après ma première visite en Inde, j’avais dit ‘’il n’y a pas de bon terrain, il n’y a pas de bon climat’’ et pourtant on voulait faire du vin. Et on l’a fait ! On a mis du temps mais on l’a fait, à Bangalore en particulier. On peut faire des bons vins n’importe où ; on peut améliorer des vins. Mais les Grands vins dépendent d’un bon terroir. C’est avec le temps que l’on juge les grands vins, dans leur capacité à conserver leur qualité aromatique à travers les années. A Bordeaux, on sait où sont les grands terroirs, donc on sait où sont les grands vins. Mais il faut aussi regarder ailleurs : par exemple, ‘’Harlan Estate’’ en Californie a produit 20 millésimes consécutifs d’exception. »

L’irrigation
La question climatique est fondamentale. Pour faire du vin il faut une pluviométrie adaptée. La découverte de l'irrigation, particulièrement l'irrigation goutte à goutte, a permis aux vignobles de se développer dans les pays chauds. En Californie, il n'y aurait pas eu de viticulture sans cette irrigation, pas plus qu'il n'y en aurait eu en Argentine ou au Chili...
L'irrigation a permis de repousser les problèmes climatiques. Aujourd'hui, il existe des vignes sous l'équateur, au Japon, en Chine. Mais il sera toujours nécessaire de s'adapter à l'environnement, au sol, au climat, et c’est pour ça que le terroir est inimitable.
Le ‘’style Rolland’’ c’est de ramasser de bons raisins, et à bonne maturité. Il faut améliorer la qualité de la matière première. « On est toujours confronté à une matière, et il ne s’agit pas de la traiter de la même façon partout, en Argentine, en Chine ou à Bordeaux, dit-il. Il faut essayer de comprendre le terroir pour obtenir les plus jolis raisins. On a toujours de meilleurs vins avec de beaux raisins qu’avec de bons œnologues ! »

- Quelle qualité faut-il pour être œnologue ?
- Travailler, être vaillant.
- Faut-il un bon nez ?
- Je ne crois pas que nous ayons un bon nez ; je pense que le nez c’est comme le sport : ça se travaille. Sentir…Tout le monde sent mais la difficulté c’est la connexion de son nez à sa mémoire, raccrocher à son cerveau les odeurs connues et les identifier. Pour ça il faut s’entraîner. Je vous donne un exemple : on a découvert il y a 20 ans un produit qui s’appelle le ‘’trichloroanisole’’, qui sent un peu le moisi et qui donnait une déviation aux vins ; au début, on le sentait mais on ne l’identifiait pas. Pascal Chatonnet - chargé de recherche à l'Institut d'œnologie de Bordeaux - a trouvé son origine et l’explication chimique : les chais ont longtemps été désinfectés avec de l’eau et des savons simples, puis on a utilisé le chlore qui a apporté cette déviation ; elle n’existe plus aujourd’hui dans les chais respectables. A l’époque, c’était un défaut qu’il fallait éliminer et les œnologues de terrains, comme je suis, reniflaient comme un chien de chasse pour le sentir même à des faibles doses. Quand vous êtes entraîné à chercher une odeur, vous la trouvez. »

Michel Rolland est l’œnologue le plus consulté et le plus médiatique de la planète.
Dans son livre, Le gourou du vin, écrit avec Isabelle Bunisset, il raconte des événements marquants et communique sa passion du vin. Il affirme son admiration pour le célèbre critique américain : Robert Parker.
Editions Glenat avril 2012.

L’art de la dégustation
La dégustation fait appel aux sens de la vue, de l’odorat et du goût.
La vue observe la robe du vin, ses reflets, ses larmes, l’odorat apprécie toute la complexité de ses arômes, et le goût détermine les saveurs que le vin nous procure lors de son passage en bouche, tels que le sucré, l’acidité, l’amertume, mais également les sensations tactiles comme la chaleur laissée par l’alcool, le côté asséchant ou astringent des tanins. L’heure idéale de dégustation est 11 heures du matin ; c’est lorsque l’on a faim que nos sens sont les plus sensibles et que la dégustation est la plus pertinente.
« Si notre Tchin tchin français vient d’une expression chinoise qui signifie « je vous en prie », la façon de trinquer en Chine consiste à boire cul sec et dire gān bēi ! C’est-à-dire : « videz votre verre » ; c’est l’opposé de l’art de la dégustation du vin. En revanche, les Chinois savent déguster le thé » me dit Guy Boiron, sinologue. « Aujourd’hui, ils acceptent qu’on leur transmettre notre culture du vin : pour le Chinois, le Français est cultivé, un homme un peu âgé est un ‘’sage’’ ; ainsi l’homme mur, œnologue ou sommelier est très séduisant. Du plaisir de l’ivresse, célébré par les poètes chinois, et obtenu avec n’importe quel alcool, on passe au plaisir de la dégustation. »

La Chine
Michel Rolland conseille Peter Kwok pour son château Haut-Brisson dans le bordelais depuis plus de 10 ans (cf son chapitre). « Parce que ce n’est pas le tout d’être bon : il faut le rester ! »
Depuis août 2011, le groupe COFCO consulte Michel Rolland ; il forme ses équipes et améliore les vignes du Great Wall en Chine et du château de Viaud à Lalande-de-Pomerol en bordelais (cf son chapitre).
Michel est également le consultant du vignoble californien Sloan Estate de Pan Sutong, qui a acheté les 3 châteaux bordelais de la famille Rolland en 2013 (cf son chapitre).
Son fidèle n°2, Athanase Fakorellis, est le conseiller du château Loudenne acheté par le groupe Moutai (cf son chapitre).

La Chine doit produire du vin
« Le vin, moins alcoolisé que leurs alcools améliorera la santé publique des Chinois ; c’est une volonté de l’État, m’explique Michel Rolland. Nous verrons donc, obligatoirement, la consommation de vin se développer en Chine, et c’est très sain.»
J’évoque le livre de Céline Simonnet-Toussaint : Le vin sur le divan paru aux Editions Féret en 2006. Céline explique que le Français peut évoquer son enfance avec le vin, car il finissait les verres des invités et de ses parents ; le Chinois ne peut pas avoir ce genre de souvenir car son alcool blanc est trop fort pour être partagé entre un adolescent et un ancien. La psychologue affirme : «les régions de France où l’alcoolisme fait des ravages, sont principalement celles où la vigne ne pousse pas
Michel Rolland multiplie ses séjours en Chine pour améliorer le savoir-faire des Chinois dans leurs vignobles, et aussi pour éveiller le goût et l'intérêt de quelques 300 millions de consommateurs potentiels de vin. « L’accueil des Chinois est très sympathique parce qu’il est sincère. J’ai dû apprendre à calligraphier mon nom en chinois pour les autographes ! Je leur recommande de boire du vin pour leur plaisir, pas pour montrer qu’ils sont puissants

Odeurs et pollution
J’interroge Guy Boiron sur le terroir et les odeurs. Il est médecin à la retraite, sinologue, et il étudie le vin.
Guy me raconte le nuage brun d’Asie : «Dans le Shandong, il y a le Tai Shan, une des cinq montagnes sacrées de Chine (classée au patrimoine mondial de l'UNESCO en 1987). Lorsque je suis arrivé au sommet à 1545 mètres, pour voir le soleil se lever, une vague lueur a percé la brume pendant trois minutes. Sans doute est-ce le résultat du nuage brun d’Asie, ce nuage de pollution de 3000 mètres d’épaisseur, qui recouvre la Chine et le Nord de l’Inde, qui s’étale du Japon à l’Indonésie, depuis une vingtaine d’années. De décembre à avril, il persiste à cause des aérosols et suies, des composés chimiques, de combustion des déchets agricoles, fumier et bouses, carburants fossiles des véhicules, des industries et des centrales électriques, à cause des rejets de millions de fourneaux brûlant du bois...La peau du raisin est très fragile, très perméable. Si vous vendangez près d’une cuve à mazout, le vin risquera de sentir le mazout. Sans pour autant mettre un nom sur une odeur de pollution, je pense que ce nuage brun est mauvais pour les vignobles chinois. C’est en ça que je dis qu’un terroir est inimitable
Mi-octobre 2013, la pollution atmosphérique de Harbin - ville de 10 millions d’habitants au Nord-est de la Chine, s’est élevée pendant plusieurs jours à plus de 30 fois du seuil limite fixé par l’OMS Organisation Mondiale de la Santé.
Les pics de pollution à répétition qui affolaient les Parisiens en mars 2014 et 2015 n'étaient pas les premiers.

La conférence sur le climat est prévue à Paris en décembre 2015. La Chine et les Etats-Unis sont parvenus à un accord le 12 novembre 2014 pour réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. Les 2 premiers pollueurs représentent 45 % des émissions de CO2. 1er pays pollueur du monde, la Chine tente une baisse de sa production de charbon, et développe sa capacité de production d’électricité solaire - elle sera le leader mondial du solaire en 2015.
Lire le chapitre sur le réchauffement climatique.

« Au Chili, les forêts d’eucalyptus qui bordaient les vignobles ont été coupées pour empêcher le vin d’empester son odeur, me dit Michel Rolland. Les pieds de vignes proches des arbres, même de cyprès, sont agressés, c’est logique. Dans le bordelais, aucune vigne n’est plantée sous les pins. »
A une plus petite échelle, lorsque les routes qui longent les vignobles bordelais sont goudronnées, les raisins des parcelles à proximité vont sentir le goudron et donner ce goût au vin. Le vigneron vendange, l’œnologue goûte le vin et perçoit un ‘’faux-goûts’’ : la cuve sera traitée.
Après la tempête de 1999 qui a abattu un nombre considérable de pins en Gironde, les raisins sentaient le sel marin jusqu’à Saint-Emilion ; le goût salé apportait de l’amertume et il a été détecté facilement ; certaine cuves ont été traitées.
Mais on ne peut pas enlever l’odeur de pollution du nuage brun d’Asie.

Alain Juppé Editorial
Sommaire
Préface
Bois et vin
Agence immobilière Maxwell-Storrie-Baynes
Inlex contre la contrefaçon
Château de La Rivière

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